Dichotomia Tactus

S’asseoir face au clavier, régler son tabouret, ouvrir la partition à la page prévue, poser ses doigts sur les touches… Le résultat peut être exquis mais un concert de piano doit-il se limiter à ce rituel bicentenaire ? Carolina Santiago et Carmen Kleykens ne le pensent pas. La première est pianiste, justement, et membre de l’ensemble de musique contemporaine qui est en résidence à Royaumont, Semblance. La seconde est une compositrice devenue experte de l’applications des nouvelles technologies à la musique. Elles utilisent ici les capteurs tactiles et le Light Wall System, un dispositif de captation du mouvement dans la lumière qui permet de moduler en temps réel des fichiers sonores. Elle fait donc surgir des ondes du corps de l’instrument, que la pianiste renvoie avec les mains en une intrigante chorégraphie aérienne. Auparavant, elles ont habillé les flancs du piano d’un tissu noir strié de bandes réfléchissantes et sonores, que Carolina Santiago effleure comme s’il s’agissait de touches supplémentaires. L’effleurement, le coup, le frôlement ou le toucher sont au cœur de compositions telles qu’Evasión del tacto, présentée en 2022 à Hambourg, ou son prolongement, Evocación del tacto, qui fait intervenir la vidéo. Le concert devient un spectacle total. Le geste du pianiste en sort à la fois magnifié et ébranlé, remis en question. Plongé dans un jeu d’ombres et de lumières, ne parvenant pas à saisir l’origine de certains sons, le spectateur s’interroge sur ce qu’il perçoit lors d’un récital de piano plus traditionnel. Il se demande quel rapport il établissait jusqu’alors entre le corps de l’artiste, le décor du concert et la musique entendue. Qu’il le veuille ou non, Dichotomia Tactus l’a transformé…

Carmen Kleykens & Carolina Santiago

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