L’âme entre deux rives

John Keats, Lord Byron, William Blake, Emily Dickinson… La langue de Shakespeare a enfanté une tradition poétique d’une force rare et inspiré un vaste répertoire de musique vocale ancrée dans la culture britannique. Tandis qu’en France, Camille Saint-Saëns mettait en musique Henri Cazalis ou que Guy Ropartz adaptait Heinrich Heine, les compositeurs britanniques puisaient également à la source de leurs poètes favoris. Ainsi, le mentor de Benjamin Britten, le chef d’orchestre Frank Bridge a-t-il par exemple adapté un poème de Mary Elizabeth Coleridge (1861-1907), l’arrière-petite-nièce du romantique Samuel Taylor Coleridge. L’organiste Lucile Dollat et le ténor Léo Vermot-Desroches, qui se sont rencontrés à Royaumont à la faveur d’une session de formation de 2021 dirigée par Véronique Gens et Thomas Lacôte, explorent cette proximité entre mélodie française et songs anglais. L’orgue de Royaumont est l’instrument idéal pour cette voluptueuse flânerie d’une côte à l’autre du Channel. Riche de 2 573 tuyaux dissimulés derrière son imposant buffet néo-gothique, il peut paraître impressionnant mais se révèle en réalité d’une grande délicatesse et d’une prodigieuse richesse de timbres. Conçu en 1864 par le plus grand facteur d’orgue français, Aristide Cavaillé-Coll, pour la villa d’un riche industriel sur les bords du Lac Léman, cet orgue de salon enveloppe et accompagne merveilleusement la voix humaine, dont il sait se faire le prolongement. A travers lui, la poésie gagne en intensité, même celle, déjà exaltée, de l’appel mystique Batter my heart de l’Anglais John Donne (1572-1631). L’amour, la désillusion, la brièveté du plaisir, l’approche de la mort… Les mots des poètes résonnent en deux langues entre les deux rives.

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